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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 29 septembre 2008

Constantin Meunier à Séville

L'exposition "Constantin Meunier en l'Andalousie" vient d'ouvrir ses portes au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Elle propose jusqu'au 4 janvier 2009 un corpus de quelques 75 esquisses et tableaux dont l'intérêt est davantage lié aux nouvelles perspectives dans la connaissance de l'histoire sociale de l'art belge qu'à la qualité intrinsèque des pièces exposées.

A partir des années 1880, après s'être illustré dans la peinture religieuse, Constantin Meunier (1831-1905) s'impose dans les salons de peinture comme le chantre de la condition ouvrière : il forge et fixe l'iconographie des masses laborieuses parties en guerre contre les méfaits de la révolution industrielle. Sa notoriété est telle que le gouvernement, en la personne de son ami le critique d'art Jean Rousseau, apologue de l'avant-garde et "accessoirement" directeur de l'Administration des Beaux-Arts, lui demande de réaliser une copie à l'identique de la sublime Descente de croix de Pedro Campaña conservée à la Cathédrale de Séville, une œuvre qui fait beaucoup parler d'elle à partir de 1867, lorsque des spécialistes de l'art flamand l'attribuent à un artiste "belge", le maniériste Pieter de Kempeneer.

A l'heure où l'œuvre d'art tire sa valeur de son unicité et de sa non reproductibilité, on peut se demander quel est intérêt de pratiquer une telle copie. En réalité, les autorités bruxelloises imaginent ni plus ni moins la création d'un Musée des copies regroupant les grands chefs-d'œuvre de l'art belge conservés à l'étranger. La France a donné l'exemple de ce type de musée, évoqué dès 1851 dans les assemblées et inauguré à Paris vingt ans plus tard. Outre une volonté évidente de valorisation de l'identité nationale, le projet a pour vocation - essentiellement dans les milieux conservateurs - d'endiguer le danger potentiel que constitue la montée de l'art moderne. La Belgique suit le mouvement.

Demander à Meunier, pourtant spécialiste de la peinture religieuse, de remplir cette mission n'est pas sans poser problème. Faut-il en effet que la copie soit réalisée par un artiste reconnu de tous dont la renommée va engranger inévitablement des coûts considérables? Ou au contraire confier le travail à un lauréat du Prix de Rome de Belgique avec le danger d'être confronté à son inexpérience et de le voir se détourner de ses recherches stylistiques personnelles? L'amitié qui lie Rousseau à Meunier permet de trancher : Constantin"décroche le marché". A cours d'argent, le peintre accepte l'offre (très lucrative) faisant abstraction de son tempérament des plus casaniers. Accompagné de son fils Karl, Meunier séjourne à Séville d'octobre 1882 à avril 1883. A son arrivée, il apprend la mort de l'évêque de la ville auprès duquel les autorités belges à Madrid avaient obtenu l'autorisation pour de réaliser la fameuse copie. Le chapitre de la Cathédrale qui accueille le peintre n'est au courant de rien et lui refuse l'accès de la sacristie où est conservé le tableau de Pieter de Kempeneer. Après de multiples tractations, Meunier se met au travail du 27 décembre 1882 à avril 1883. Le 1er juin, sa Descente de croix arrive à Bruxelles pour étoffer les collections du Musée des Copies. Très controversé, celui-ci ferme ses portes en 1891 (le Musée des Copies de Paris fit pareil dès 1876), la Descente de croix rejoint alors les réserves du Musée des Beaux-Arts et tombe dans l'oubli durant plusieurs décennies.

Le temps libre dont Meunier dispose à Séville est mis à profit pour confronter sa connaissance livresque de l'Espagne à l'expérience in situ. Il constate que les clichés véhiculés par la littérature, de Prosper Mérimée à Théophile Gautier, sont loin de correspondre à la réalité. Ses dessins dépeignent principalement la faune de loqueteux et d'exclus pour lesquels, à l'instar de Murillo deux siècles plus tôt, il ressent une compassion réelle. A travers ses titres, il s'efforce de redonner à cette pauvreté pittoresque une nouvelle dignité ("Le noble mendiant").

Durant ses six mois à Séville, le peintre passe beaucoup de temps à se promener dans les vieilles ruelles du centre. Il fréquente les autochtones comme les étrangers de passage et fait notamment la connaissance dès octobre du compositeur Emmanuel Chabrier (en voyage avec son épouse) qui lui fait partager son enthousiasme pour l'Espagne, contact plus que bénéfique lorsqu'on sait que les premières impressions de Meunier sur Séville sont négatives. Ensemble, ils se rendent, entre autres, dans les cabarets de la ville et plus particulièrement au café del Burrero, où règne l'âpreté envoûtante du flamenco que le peintre restitue dans son étonnante "Scène de cabaret à Séville" à l'atmosphère aigre-douce d'une sensualité morbide. Chabrier attendra son retour en France, quelques mois plus tard pour transcrire ses impressions andalouses dans sa première pièce pour orchestre : España.

Meunier découvre encore la religiosité extrême des Andalous qui culmine durant la Semaine sainte (transcrite dans la glaçante "Procession du silence"), la barbarie macabre des corridas (illustrée par la splendide "Muerta", au fusain et crayon noir, une esquisse beaucoup plus puissante que le tableau peint), les jeux et divertissements issus d'un autre âge (l'étonnant "Combat des coqs" dont la force expressionniste anticipe de 40 ans sur l'esthétique d'un George Grosz!) et, last but not least, la célèbre manufacture de tabac avec ses cigarières, les belles compagnes de Carmen présentées non plus comme des gitanes envoûtantes, guerre aux clichés oblige, mais dans leur fragile humanité.

De qualités variables, ces différentes esquisses et tableaux sont d'un intérêt certain : ils constituent les premiers exemples d'un art belge influencé par l'Espagne, 20 ans après que Manet a lancé la mode de la peinture d'inspiration hispanisante en France. A son retour en Belgique, Meunier exploite quelque temps cette veine (évitant soigneusement l'exotisme de pacotille) avant de se spécialiser dans la statuaire de la condition ouvrière qui fit de lui l'un des apôtres de la "Modernité". L'exposition a pour principal mérite (malgré une absence flagrante d'explications) de remettre à l'honneur ce pan méconnu de sa carrière.

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